Bonjour mes amis sauvages !
Aujourd'hui je continue ma série sur les ailes, et j'espère que vous aurez plaisir à me lire ! J'ai deux cadeaux pour vous maintenant : d'abord je vais vous parler à nouveau des ailes et vous raconter comment je me relie à elles dans cette période qui est pourtant très chargée pour moi. Et ensuite je vous inviterai à vous relier aux vôtres dans une méditation guidée.
Vous trouverez en bas de ce post la version audio du texte ci-dessous. Et, dans un fichier audio séparé, la méditation. Vous pouvez écouter les deux à la suite ou bien séparément. Bonne lecture et bonne écoute !
Depuis cette dernière fois où j'ai retrouvé mes ailes, ce moment magique que je vous ai raconté dans mon précédent podcast, j'essaie vraiment de prendre soin d'elles. Mes ailes. Ces ailes que j'ai perdues mille fois mais que la vie finit toujours par me ramener. Car la vie est comme ça. Généreuse, pleine de surprises et de miracles.
Chaque jour je pars à la cueillette des miracles. Chaque jour j'essaie d'écouter la musique minuscule de ces ailes précieuses que nous avons vite fait d'oublier, humains occupés que nous sommes...
Et occupée, je le suis depuis que je suis revenue dans les montagnes du Vercors. Trop à faire. Tellement trop. Plus que trop. Vous connaissez certainement cela vous aussi. Dans les périodes de « trop », ce qui nous sauve, moi et mes ailes, ce sont les petites routines de joie. Depuis des années je commence mes journées d'été avec cela. Et je peux vous l'assurer, mes routines n'ont rien de routinier ! Elles sont une découverte tous les jours ! Donc dès le retour de la saison lumineuse, chaque matin je sors pieds nus dans mon jardin. Tandis que ma bouilloire fait chauffer l'eau de ma tisane, je vais cueillir les herbes sauvages et médicinales que je laisse pousser dans un petit cercle de pierres: trèfle rose, menthe douce, armoise, avoine. Quelques fleurs d'aubépine aussi, car elle fleurit en ce moment dans nos montagnes.
Tandis que les plantes infusent doucement dans la théière, j'offre ma « prière » matinale aux autres vivants, mes pieds nus dans l'herbe mouillée. Ce n'est pas à proprement parler une prière. Cela ressemble plutôt à une lente conversation où je salue chacun : les oiseaux du matin et les grillons de la prairie, l'abeille charpentière et l'aubépine en fleurs, ma sœur saule qui garde notre mare et les tritons qui nagent entre ses cuisses noires, la caresse du soleil, le vent du Nord, le vent du Sud, le papillon azuré qui se pose sur ma main, la fourmi qui grimpe sur mon pied, le rouge-queue qui jette les gravillons de son chant léger sur mon jardin... Je salue aussi les directions. Nos ancêtres le faisaient, les peuples premiers le font encore. C'est important de saluer les directions, ça nous rappelle notre place dans ce monde. Et dans les périodes où je me sens perdue ou débordée, cela m'aide à me sentir en paix. Ancrée. Même égarée, je suis toujours quelque part. C'est bon de sentir ça.
Dans ma prière du matin, je salue aussi le dessous, la belle terre, et le dessus, le ciel infini. Et hier, en saluant le ciel et en levant la tête vers lui, j'ai trouvé un vautour fauve qui semblait m'attendre, planant majestueusement juste là, au-dessus de ma maison. Je garde tes ailes, soufflait-il... Oui, la vie est vraiment pleine de miracles, révélés à chaque instant. C'est à nous d'être attentifs. C'est à nous de ré-apprendre comment tomber à genoux devant la beauté et l'enchantement. Mon salut sacré du matin me reconduit sans cesse à mes ailes. Je les sens palpiter à mon dos, répondre à chaque chant d'oiseau, chaque parfum de fleur, chaque mouvement de la brise. Je me sens vivante. Voluptueusement vivante. C'est ainsi que nous devrions toujours commencer nos journées. Par la volupté. Le renard me l'a montré. Le travail et les responsabilités ne doivent venir qu'après. Comment commencez-vous vos journées ? Avez-vous des routines vous aussi ? Ou pourriez-vous en imaginer ? Vous l'avez compris, ma prière du matin prend son temps. Elle m'offre à nouveau le mien, qui se tisse au fil des minutes et des sensations. Ce temps-là n'est pas celui essoufflé des horloges et des chronomètres. C'est le temps des ailes.
Chez les grecs de l'Antiquité, il existait trois mots différents pour dire le temps, et je voudrais aujourd'hui vous parler des deux premiers : Chronos et Kaïros. Il y a longtemps j'ai étudié le grec ancien, et j'ai côtoyé ces deux visions du temps très différentes. Chronos est le temps qui s'écoule inexorablement, seconde après seconde, jours après jour, année après année. C'est celui-ci qui nous file entre les doigts. C'est après lui que nous courons sans cesse jusqu'à nous épuiser. C'est lui que nous perdons et qui nous laisse amers et remplis de regrets. Kaïros est un temps différent. Il se moque des horloges et s'ennuie sous le rythme répétitif de leur tic-tac. Il est d'ailleurs. Un étranger qui nous attend de l'autre côté de notre course folle et danse en riant sur les aiguilles des montres. Danse en pleurant aussi parfois... Car la douleur est aussi sacrée que la joie. Kaïros est minuscule comme le roitelet, et il chante de la même manière, un léger ffffsssssffffffsssssfffffssss. Ceux qui ne sont pas attentifs peuvent passer à côté sans l'entendre. Il est petit et pourtant immense, un trou noir qui ouvre sur l'éternité colorée. Un battement d'ailes infime qui nous propulse vers le miracle. Dans la mythologie grecque, Chronos est représenté sous la forme d'un vieillard avec une longue barbe. Et dans les peintures de l'époque moderne il tient parfois un sablier. Kaïros quant à lui a l'apparence d'un jeune dieu.
Des ailes palpitent derrière son dos...
Le temps de Chronos le vieillard est tissé d'une succession de moments aussitôt engloutis, de passé et de futur, d'attente et de nostalgie. Kaïros le dieu ailé est un instant éternel, une pomme d'or croquée et jamais perdue. Chronos nous contient dans son sablier et nous glissons en lui sans jamais pouvoir l'arrêter. Kaïros nous habite. Une fois que sa pomme sacrée a été croquée elle reste pour toujours mêlée à notre chair. Elle palpite au creux de nos os. Elle siffle à nos ailes et chante dans notre cœur. Une chanson joyeuse ou triste, peu importe, car elle est toujours un trésor. Même lorsqu'on croit l'avoir perdue elle reste en nous pour toujours.
Ce matin Kaïros est venu à nouveau se poser dans mon jardin. Il était une minuscule mésange bleue qui chantait à tue-tête dans le saule, descendant branche après branche en me jetant des regards appuyés. Je te vois, disait-elle. Je te vois aussi, ai-je répondu. Tu peux aller tranquille. J'étais au milieu de ma prière aux autres vivants. Mon silence émerveillé a remplacé les mots. La mésange a continué à descendre et s'est posée sur une feuille de nénuphar, tout près de moi, si près... Tournant régulièrement la tête vers moi elle a bu l'eau noire à gorgées légères et minuscules. Puis elle a pris son bain. Le bain d'une mésange bleue peut arrêter le temps. Le regard d'une mésange bleue cousu à notre propre regard humain peut être une conversation sacrée. Et sa confiance peut faire couler des larmes heureuses. Si je vous disais que ces instants scintillants sauvent ma vie chaque matin, me croiriez-vous ? Chaque matin je trouve, sur le chaos de mon quotidien, un gardien ailé qui, d'un battement d'ailes ou d'une pulsation de gorge, remet tout en ordre. La mésange a pris trois bains successifs, jetant des diamants autour d'elle, puis elle est remontée dans le saule et s'est longuement toilettée. La mare ronronnait en-dessous, posant sur l'oiseau ses grands yeux d'iris mauves. Je n'ai pas bougé, je n'ai pas parlé, on ne dérange pas le bain d'une reine. Ma prière ouverte en deux s'est lentement laissé éclabousser d'éternité...
Kaïros, ce temps des ailes, il ne se laisse pas enfermer dans les horloges et il se donne sans compter. Il peut durer des mois ou le temps d'une prière matinale. C'est à nous de le courtiser, de le saisir, de le voler. Le voler oui ! Une renarde me l'a dit, dans la nuit mouillée d'avril en Bretagne, alors que je dormais avec mon chat dans mon van. Pour ne pas oublier les mots de la renarde, je les ai écrits dans mon journal. Laissons-la raconter :
« La renarde est venue chanter sous ma fenêtre cette nuit. Têtue, elle jette encore et encore à la lune glacée sa déchirure d'extase. J'ai appris à chanter comme elle. Je sais comme c'est bon cette griffe de gorge sous les nuages décousus. Au début, j'ai cru à un rêve. Mais elle a insisté jusqu'à ce que je sois pleinement réveillée. Prends ton dû, disait-elle. Ne te contente pas des miettes. Hier elle a pris un lapin. Elle n'a laissé que la peau retournée dans un creux de dune. Une crotte à côté, comme une revendication. C'est moi dit-elle. C'est moi et je vous ris au nez. Je prends ce qui me revient. Je suis vivante et vous allez comme des morts. Ne va pas comme eux, toi qui écoute de l'autre côté de ta fenêtre. Il faisait 8 degrés dans le van, et de temps à autre la pluie jetait ses graviers féroces sur le toit. J'avais froid. Avait-elle froid aussi, la renarde, de l'autre côté de la nuit. J'ai murmuré tout bas : je ne vais pas comme eux. Je n'irai plus jamais ainsi. Elle est partie comme une reine, sa queue flamboyante balayant les nuages et brûlant les étoiles.
Non, je ne veux plus aller comme eux, les yeux vides, la peur au ventre qu'il faut anesthésier sans cesse. Je veux aller vivante comme la renarde aux crocs aigus. Je veux prendre mon dû. Mon dû de soleil et d'eau claire. De siestes et de danses frénétiques. Mon dû ce matin c'est d'être assise au bord des saules. De me laisser caresser sans rien faire par le soleil d'avril. De regarder glisser les nuages. Mon dû c'est d'offrir une nouvelle fois mes jambes à l'embrassade limpide de l'eau. Ecouter sa chanson d'aujourd'hui, douce et légère. Marcher lentement en chantant avec elle. Revenir les pieds nus et glacés jusqu'au van. Courir avec mon chat sous l'averse inattendue. Et rire, rire, rire, toute mouillée de pluie. Et rêver en regardant par la fenêtre qui claque de gouttes. Mon dû c'est cette simplicité-là. Cette vie un peu rugueuse parfois, mais toujours libre. Je ne veux plus d'une vie toute petite et serrée. Je la veux large et profonde comme l'Océan. Je suis prête à prendre les dangers qui vont avec. J'ai faim. De temps. De joie. De repos. De vie. Ceci est mon dû. Et le dû de chaque créature sur cette terre.
Regardez-moi, je retourne à la mer. Entendez mon cri dans la nuit. Je suis libre comme la rivière. Comme la renarde efflanquée et hardie qui dévore le lapin sous la lune écorchée. C'est moi, je suis celle qui a quitté le droit chemin, le triste chemin. C'est moi, la va-nus-pieds au rire d'enfant, l'étrange qui dérange avec ses ailes ébouriffées de féroce volupté. Regardez-moi, je retourne à la joie Lissez vos plumes et suivez-moi... »
Mes amis sauvages, voulez-vous me suivre dans ce temps des ailes ? Voulez-vous écouter la chanson unique des vôtres ?
Vous trouverez ci-dessous le fichier audio de ce texte puis une douce méditation pour nous ancrer dans l'instant, quitter Chronos et son sablier et nous laisser enlever par les ailes de Kaïros.
Ecouter la version audio du texte ci-dessus
Ecouter la méditation des ailes
Toutes les images partagées sur ce compte Conversations Sauvages sont les miennes ou celles de mon compagnon Matt. Pas d’IA ici, pas d’artifice, juste la créativité vivante et la joie de la partager.
Merveilleuse poésie de la nature que tu nous offres encore ce soir. L'instant avec la mésange bleue était magnifique, elle est venue en miroir pour toi, forte et fragile à la fois. Tu m'as aussi fait voyager avec mes ailes d'avant, celles du faucon pèlerin qui en un instant passe des falaises aux méandres de la vallée du Doubs quand la brume s'est levée... Merci Sandrine
Merci pour ton retour Florent. La mésange bleue est revenue, avec ses petits cette fois-ci. Depuis quelques jours ils prennent leur bain en famille chaque matin dans la mare. Leurs éclaboussures joyeuses sauvent le monde, encore et encore. Mes yeux remolis de larmes heureuses en sont témoins. Je crois qu'il y a partout autour de nous des guérisons miraculeuses chaque jour, c'est à nous d'y prêter attention. C'est à nous de nous rappeler que nous aussi nous pouvons sauver ainsi des petites miettes de ce monde qui s'effondre. Merci de le faire toi aussi avec tes images miraculeuses et tes mots..